On commence…
Vendredi 11 décembre. On commence. Ils sont une bonne trentaine. Je leur ai lu un passage du «Vent vivant des peuples», là où j'essaie de voir les premiers pas des émigrants dont parle ce livre à leur arrivée en France, c'est plus de cent fois: Je voudrais voir..., plus de cent fois une photo qui n'a pas existé. Et vous, quelle photo vous voudriez imaginer? C'est toujours magie de les voir se mettre à l'œuvre, malgré les ricanements, le besoin de se donner l'air de celui à qui on ne le fait pas, ils écrivent, tous, on en sort rincé mais ils ont tous écrit. Je prends comme ça vient:
«Je voudrais voir le visage de mon père quand il a eu son permis, les sentiments que lui a procuré ce moment d'avoir réussi l'examen. Comme un gamin qui aurait eu une sucette. C'était génial, me dit-il. Cela se passait à Alger à la caserne militaire. De belles années passées là-bas, me dit-il, et des souvenir plein la tête.»
«Je voudrais voir le jour du mariage de mes parents.
Je voudrais voir le jour de ma naissance.»
«Je voudrais voir les yeux de mon grand-père qui arrive en France pour faire la guerre.
Je voudrais voir le jour où ma sœur a dit ses premiers mots.»
«Je voudrais voir l'expression du visage de ma tante, la frustration de ses doigts, qui se demande pourquoi l'avoir caressé d'une manière si violente.»
«Je voudrais voir mon grand-père me serrer dans ses bras comme si j'étais sa propre fille»
Juste un point de départ posé sur la feuille. Après, il faudra continuer. J'insiste: Écrire, c'est mieux que prendre des photos, on peut voir ce que l'on n'a jamais vu.
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