Biographie et bibliographie de l'auteur
Propos du livre
Michel Séonnet réhabilite dans une perspective plutôt laïque le Livre d’Heures (ouvrage religieux médiéval illustré destiné à l’édification des moines). Adressé à sa sœur, il relève la gageure d’écrire “un livre pieux pour une impie”.
Ma sœur m’a demandé de lui écrire un Livre d’Heures.
Elle me demande l’impossible: un livre pieux pour une impie!
Elle vient d’être opérée d’un cancer et subit en ce moment la violence d’une chimiothérapie que l’on espère salvatrice.
Au mur de mon bureau, il y a toutes sortes d’images: cartes postales, reproductions, découpes de journaux, dessins, textes aussi comme des affiches. Lorsque tout semblait devoir s’écrouler, je savais, les regardant, avoir là de quoi faire face à ce qui venait. Armes de patience autant que de résistance.
Ce sera la matière de mon Livre d’Heures.
Extrait
Galets
Étrangement, les galets qui m’accompagnent ne sont pas de Méditerranée, l’un est d’Atlantique (Pornic, je crois), un autre, tout petit, est de rivière, et le troisième je me souviens l’avoir ramassé dans un champ au bord de l’autoroute, galets jaunes où poussent les vignes en vallée du Rhône, et à peine sorti de la voiture je me suis précipité, littéralement jeté dessus dès que je les ai vus, comme un qui serait en manque, une faim de galet si c’est possible, et cette joie de l’avoir dans la main, de le rouler, le faire tourner, de jouir de ses rondeurs autant que de sa plénitude, pas de faille, pas d’éclats, démesure d’une joie à ramasser une simple pierre qui mieux que tout me fait comprendre: ces galets sur mon bureau sont des galets d’exil, galets de jours de disette, de jours de loin, galets ramassés en terre étrangère, en dehors de toute mer, et pourtant c’est toujours cette présence qui m’est si chère, qui m’est chair, galets que j’ai dits plus d’une fois mes jumeaux, je les retrouve comme moi en exil, déracinés (si l’on peut dire) et gardant pourtant intacte cette puissance de jet, œufs de pierre aussi bien pour la fronde que pour la vague quand ils deviennent des oiseaux à riper sur l’écume: à les retrouver en ces lieux étrangers et fatalement inhospitaliers, c’est peut-être ma propre capacité à y vivre que j’y reconnais, frères encore plus, alors, si aussi loin qu’ils se soient égarés c’est encore la même étincelante survivance de ce qui pendant des siècles d’eau et de mer a été roulé, usé jusqu’à l’âme, et du coup, au lieu de désigner par absence un pays perdu, une mer délaissée, c’est comme s’ils m’ouvraient une autre terre, disant: Toi aussi comme nous tu peux être ici chez toi, la pierre ronde à forme de paume n’enfermant plus alors dans les rets d’un atavisme imaginaire ni dans la nostalgie complaisante envers un pays soi-disant perdu, mais ouvrant à l’exilé la chance d’une promesse: chance, oui, est l’exil, quand le galet y a sa place et toutes les richesses autrefois confiées à l’enfant, chance aussi loin qu’il aille quand la pierre qui roule dans la main est chaque fois occasion de renouer l’alliance avec le monde.
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Illustrations
Vingt-huit vignettes noir et blanc de sources diverses
Photo de couverture : Bernadette Griot